Le Neem : savoirs vivants d’un arbre voyageur
Dans les ruelles ensoleillées des villages indiens, au bord des routes sénégalaises ou dans les vergers familiaux de Madagascar, un arbre revient inlassablement : le Neem. Arbre de soin, de défense, de spiritualité et de mémoire, le Neem, Azadirachta indica, traverse les paysages et les siècles. Mais que nous raconte-t-il, au-delà de ses vertus médicinales ou de son usage agricole ? Que disent de lui les sociétés qui le cultivent, qui l'honorent, qui l’utilisent ? Cet article propose un détour par l’histoire culturelle du Neem, une plante dont les usages sont aussi riches que les territoires qui l’ont accueillie.
Une origine enracinée dans le sous-continent indien
Le Neem est originaire du nord de l’Inde et du Myanmar, où il pousse naturellement depuis des millénaires. Résistant à la sécheresse, capable de s’adapter à des sols pauvres, il s’est progressivement diffusé à travers les zones tropicales et semi-arides, notamment en Afrique de l’Ouest, en Amérique latine, et dans certaines régions d’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, on le retrouve dans une cinquantaine de pays.
Mais c’est en Inde que son histoire est la plus ancienne et la plus dense. Utilisé en médecine ayurvédique depuis plus de 2000 ans, le Neem est cité dans les textes sanskrits comme "Sarva Roga Nivarini", "celle qui guérit toutes les maladies". Son amertume puissante, son feuillage persistant, sa robustesse en font un symbole à la fois de résistance, de purification et de sagesse.
Une plante voyageuse, des fonctions multiples
En Afrique de l’Ouest : arbre de santé et de protection
Introduit au Sahel au XXe siècle, notamment par les programmes de coopération agricole, le Neem a été rapidement adopté dans de nombreux villages. On l’utilise pour :
Soigner (infusions de feuilles contre le paludisme, décoctions contre les parasites intestinaux)
Protéger les récoltes (macération de feuilles contre les ravageurs)
Créer de l’ombre, filtrer la poussière, stabiliser les sols
Mais au-delà de ses usages pratiques, il prend aussi une place symbolique : arbre planté près des habitations, il incarne une protection contre les esprits et un lien avec les ancêtres dans certaines cultures mandingues.
À Madagascar : le Neem comme allié de l’agriculture paysanne
Dans plusieurs régions de Madagascar, les paysan·nes intègrent le Neem à leurs pratiques agroécologiques : traitement des plants de riz, protection des légumes, mais aussi usage médicinal pour les animaux (chiens, zébus). Ici, le savoir est souvent transmis par les femmes, qui maîtrisent les dosages précis de feuilles broyées et savent comment renforcer l’efficacité du Neem en le combinant à d'autres plantes locales.
Un insecticide naturel… et politique
Le Neem a attiré l’attention des laboratoires pharmaceutiques et des multinationales de l’agro-industrie dès les années 1980. Ses propriétés insecticides – dues à la molécule d’azadirachtine – ont été largement étudiées. Mais cette reconnaissance scientifique a aussi déclenché des tensions : plusieurs tentatives de breveter des extraits de Neem par des firmes privées ont été dénoncées comme une forme de biopiraterie.
Des militantes comme Vandana Shiva ont alors rappelé que le Neem est un bien commun du savoir indien, utilisé depuis des siècles, et que sa marchandisation sans reconnaissance des savoirs populaires est une violence épistémique.
Pour aller plus loin
Vandana Shiva, Biopiraterie : Le pillage de la nature et des savoirs (1999)
Geneviève Michon, Savoirs écologiques traditionnels et biodiversité (2001, IRD)
Michel Pimbert, Food Sovereignty and Traditional Knowledge Systems
FAO, Neem: A Tree for Solving Global Problems
National Research Council (US), Neem: A Tree for Solving Global Problems (1992)